Le Permis Modificatif en Cours d'Instruction

Lorsqu'un permis de construire est en cours d'instruction, il n'est pas rare que le pétitionnaire souhaite apporter des modifications à son projet initial. Toutefois, cette pratique pose des questions quant à l'impact de ces modifications sur le délai d'instruction et sur la procédure en cours. Cet article vise à clarifier la question, notamment à la lumière des dernières décisions du Conseil d'État et des pratiques locales en matière de gestion des permis modificatifs.

Cas particulier du dépôt du modificatif en cours d'instruction

Lorsqu’un pétitionnaire reçoit une lettre d’incomplet après le dépôt de son dossier, celle-ci peut indiquer des motifs de refus basés sur la non-conformité du projet initial aux règles d’urbanisme. Par exemple, le projet peut présenter une implantation non respectueuse de la demi-hauteur, une construction dépassant la limite de la zone constructible, ou encore une hauteur excessive. Dans ce cas, il est souvent mentionné que ce motif de refus pourrait être levé si le pétitionnaire modifie son projet.

Cette situation entraîne fréquemment la soumission d'un dossier modificatif, en réponse à la lettre d’incomplet, permettant de régulariser le projet sans avoir à déposer une nouvelle demande de permis de construire. Cette pratique est encadrée par l’article R. 423-19 du Code de l'urbanisme, qui précise que le délai d'instruction commence à courir dès la réception en mairie d'un dossier complet. Toutefois, la réception de pièces modifiées peut poser question quant à la date de naissance d’un permis tacite, surtout si l’administration n'a pas explicitement suspendu ou prolongé le délai d'instruction.

Modification spontanée du projet par le pétitionnaire : un droit encadré

La jurisprudence récente, notamment l'arrêt du Conseil d’État du 1er décembre 2023 (n° 448905), apporte des réponses importantes concernant la modification spontanée d’un projet en cours d’instruction. La haute juridiction a jugé qu’en l'absence de dispositions contraires dans le Code de l'urbanisme, il est loisible au pétitionnaire de modifier son projet pendant l’instruction de la demande, tant que ces modifications ne changent pas la nature du projet.

Ainsi, un pétitionnaire peut, à tout moment de l’instruction, soumettre de nouvelles pièces pour ajuster son projet, et celles-ci seront intégrées au dossier en cours. Cela permet d'éviter la nécessité de déposer un nouveau dossier complet. Toutefois, cette facilité ne doit pas entraver l’efficacité de l’instruction ni compromettre le délai de décision de l’administration.

Limites des modifications et impact sur le délai d'instruction

L'arrêt du Conseil d'État précise que seules les modifications ne changeant pas la nature du projet sont acceptables. Cela signifie que les ajustements mineurs qui n'affectent pas l'essence du projet (comme un changement de matériaux ou un déplacement de fenêtres) peuvent être pris en compte sans qu'un nouveau délai d'instruction soit imposé.

Cependant, si la modification implique des changements plus substantiels, comme une modification de l'implantation ou une augmentation significative de la surface de plancher, le service instructeur peut décider que ces modifications entraînent un nouveau dossier. Dans ce cas, le délai d'instruction recommence à partir de la date de réception des pièces modifiées, et l’administration doit informer le pétitionnaire dans le mois suivant la réception des modifications.

Dans l’affaire Samsud, le Conseil d'État a censuré l'analyse de la Cour administrative d’appel de Marseille qui considérait que l’envoi de pièces nouvelles ne pouvait pas prolonger le délai d’instruction. Le Conseil d'État a estimé que l’administration devait rechercher si ces modifications pouvaient être prises en compte dans le délai imparti, ou si elles nécessitaient un nouveau délai d’instruction.

Conséquences juridiques : la régularisation des permis tacites

Si l’administration reçoit des modifications importantes qui nécessitent des consultations supplémentaires ou des vérifications techniques, elle doit notifier au pétitionnaire que le délai d’instruction est prolongé. En l'absence de cette formalité, l’administration pourrait être accusée d'avoir entaché le processus et permis la naissance d'un permis tacite. Le Conseil d'État a rappelé que, en l'absence de communication claire de l’administration sur le prolongement du délai, le permis tacite pourrait être automatiquement accordé, sauf exceptions légales.

Exemples de pratiques en cas de modificatif en cours d’instruction

Certaines collectivités ont mis en place des pratiques internes permettant aux services instructeurs d'accepter des modifications mineures en cours d'instruction, sous certaines conditions :

  1. Les modifications ne doivent pas nécessiter de nouvelles consultations de services extérieurs, sauf si le délai d'instruction le permet.
  2. La date limite du délai d’instruction ne doit pas être dépassée en raison des modifications proposées.
  3. Le visa des documents modifiés doit être ajouté à l’arrêté final.

Si ces conditions sont remplies, l'arrêté peut être complété avec une référence aux pièces modifiées, permettant ainsi de régulariser le projet sans retarder le processus d'instruction.

 

L’arrêt du Conseil d'État du 1er décembre 2023 offre un cadre clair et pragmatique concernant la modification d'un projet en cours d'instruction. Il permet au pétitionnaire d’ajuster son projet sans avoir à déposer un nouveau dossier complet, tout en maintenant une exigence de responsabilisation. Cependant, les modifications substantielles entraînent un nouveau délai d'instruction, et il incombe à l'administration de notifier ces changements dans un délai d’un mois.

Ainsi, la possibilité de soumettre un dossier modificatif offre une certaine flexibilité aux pétitionnaires, mais elle nécessite également une vigilance accrue de la part des services instructeurs pour éviter les erreurs de procédure et préserver la sécurité juridique du processus d’instruction.