Cristallisation des règles d'urbanisme et divisions foncières : précisions jurisprudentielles

L'application des règles d'urbanisme en matière de lotissements est régie par des principes complexes, notamment en ce qui concerne la cristallisation des règles applicables après une déclaration préalable. Dans une décision récente (CE, ch. réunies, 13 juin 2022, n° 452457), le Conseil d'État est venu clarifier plusieurs points importants liés à la division foncière et à l'application de l'article L. 442-14 du Code de l'urbanisme. Cet article examine les implications de cette décision pour les acteurs concernés, propriétaires fonciers et professionnels de l'urbanisme.

Contexte de la cristallisation des règles d’urbanisme

L'article L. 442-14 du Code de l'urbanisme prévoit que les règles d'urbanisme en vigueur au moment de la décision de non-opposition à une déclaration préalable de lotissement ou à la délivrance d'un permis d'aménager sont "cristallisées" pendant une période de 5 ans. Cette disposition vise à protéger les acquéreurs de terrains situés dans des lotissements contre d'éventuelles évolutions défavorables des règles d'urbanisme. Cependant, cette protection n'est applicable que si certaines conditions sont remplies.

La décision du Conseil d’État

Dans l'affaire Société La Guarriguette, un permis de construire avait été délivré après une déclaration préalable de division d'une parcelle, sans qu'il y ait eu de transfert de propriété ou de jouissance du terrain. Le Conseil d'État a rappelé que la cristallisation des règles d'urbanisme ne s'applique que si une véritable division foncière est réalisée. En l'absence de cette division, les droits attachés au lotissement, tels que définis par l'article L. 442-14, ne peuvent être revendiqués par le demandeur d’un permis de construire.

Le Conseil d'État a sanctionné l'erreur de la Cour administrative d'appel de Marseille qui avait considéré que la simple non-opposition à la déclaration préalable suffisait à faire jouer la cristallisation des règles d'urbanisme, même sans réalisation effective de la division.

La notion de division en droit de l'urbanisme

Le Code de l'urbanisme définit le lotissement comme la division en propriété ou en jouissance d'une unité foncière ayant pour objet de créer un ou plusieurs lots destinés à être bâtis (article L. 442-1). La cristallisation ne peut donc intervenir qu’à partir du moment où cette division est juridiquement réalisée. Autrement dit, il ne suffit pas d’obtenir une autorisation de diviser ; il faut également que la division foncière se concrétise par un acte de transfert de propriété ou de jouissance.

Les conséquences pratiques pour les porteurs de projets

Cette décision rappelle aux propriétaires et aménageurs l'importance de procéder à une division effective de leur terrain avant de solliciter un permis de construire sous le régime de la cristallisation des règles d'urbanisme. Sans cette division, les règles en vigueur au moment de la demande de permis, et non celles applicables au moment de la déclaration préalable, détermineront la légalité du permis.

Il est également essentiel pour les professionnels de l'urbanisme de bien comprendre la différence entre un lotissement déclaré et un lotissement effectivement réalisé. Tant que la division n’est pas formellement intervenue, ni les acquéreurs, ni les promoteurs ne peuvent se prévaloir des avantages de la cristallisation des règles d’urbanisme.

Enjeux pour les acquéreurs et professionnels de l’immobilier

Pour les acquéreurs, cette décision souligne l'importance de vérifier non seulement la régularité des procédures de division foncière, mais aussi leur mise en œuvre concrète avant de s'engager dans un projet de construction. Sans une division réelle, les protections offertes par la cristallisation ne s'appliquent pas, exposant ainsi les acquéreurs à des changements dans les règles d’urbanisme pouvant impacter la constructibilité du terrain.

Conclusion

La décision du Conseil d'État réaffirme que la cristallisation des règles d’urbanisme est conditionnée à la réalisation effective d'une division foncière. Une simple déclaration préalable ne suffit pas pour garantir les droits attachés à un lotissement. Ce rappel est crucial pour les propriétaires, promoteurs et investisseurs, qui doivent s'assurer de la pleine exécution des actes de division pour bénéficier de la stabilisation des règles d'urbanisme. La vigilance est donc de mise pour éviter les mauvaises surprises lors de l’instruction des permis de construire.