Architectes des Bâtiments de France (ABF) : un rôle central à réinventer face aux défis contemporains de l’urbanisme et de la transition écologique

Architectes des Bâtiments de France (ABF) rapport d’information sénatorial de septembre 2024

Le rapport d’information sénatorial de septembre 2024 sur le périmètre et les compétences des Architectes des Bâtiments de France (ABF) met en lumière les enjeux complexes auxquels cette institution est confrontée. Alors que la protection du patrimoine architectural et paysager reste une priorité, les ABF se retrouvent aujourd'hui face à une multiplicité de défis : des contraintes économiques croissantes, des demandes de modernisation urbaine et une pression accrue liée aux objectifs de la transition écologique.

1. Une mission de préservation du patrimoine fragilisée

Depuis plus de deux siècles, les ABF ont joué un rôle central dans la protection du patrimoine en France. Leur mission, qui inclut la préservation des abords des monuments historiques, s'inscrit dans une longue tradition visant à préserver la beauté des sites emblématiques. Le cadre législatif, défini par des textes fondateurs comme la loi du 31 décembre 1913, a progressivement étendu cette mission en y intégrant la gestion des abords des monuments. Les ABF disposent ainsi d’un pouvoir d’avis conforme, un outil essentiel pour assurer la cohérence architecturale et paysagère des constructions à proximité des sites classés​.

Cependant, cette mission se trouve aujourd'hui fragilisée. Le rapport met en avant les difficultés administratives et budgétaires rencontrées par les ABF. En effet, alors que leurs responsabilités se sont élargies avec l’introduction de nouveaux périmètres de protection, tels que les sites patrimoniaux remarquables (SPR), les moyens humains et financiers n’ont pas suivi. Entre 2013 et 2023, les avis émis par les ABF ont augmenté de 63 %, tandis que les effectifs n’ont progressé que de 6 %​. Ce déséquilibre se traduit par une surcharge de travail, compromettant parfois la qualité du suivi des projets et limitant la capacité des ABF à remplir leur fonction de conseil auprès des collectivités et des particuliers.

2. Les zones de friction avec les élus locaux et les porteurs de projets

Le rapport souligne que la mission des ABF suscite régulièrement des tensions avec les élus locaux et les porteurs de projets. Plusieurs points de friction sont identifiés :

  • Variabilité des avis : Les décisions des ABF peuvent différer d'un département à l'autre, créant un manque de prévisibilité pour les porteurs de projets​.
  • Coût des prescriptions : Les avis émis par les ABF sont souvent assortis de prescriptions coûteuses, parfois inapplicables pour les collectivités ou les particuliers​.
  • Pédagogie insuffisante : Le manque de clarté dans les motivations des avis accentue les incompréhensions. Le dialogue est souvent limité, faute de temps pour un accompagnement pédagogique​.

Ces éléments alimentent une perception négative des ABF, qui sont parfois perçus comme des "freins" à l’innovation et à la modernisation des territoires. Ce ressenti est particulièrement marqué dans les petites communes rurales, où l’expertise en matière d’urbanisme et de patrimoine est souvent insuffisante pour anticiper et comprendre les décisions des ABF en particulier les avis défavorables (10% des avis dont 14% des avis conforme)​.

3. Une modernisation nécessaire face aux défis de la transition écologique

Un autre enjeu majeur mis en avant par le rapport est la confrontation entre la mission de préservation patrimoniale et les impératifs de la transition écologique. Alors que la lutte contre le réchauffement climatique impose de nouvelles normes environnementales, telles que la rénovation énergétique des bâtiments, les ABF sont souvent perçus comme un frein à leur application. Le rapport souligne l'absence de prise en compte de ces enjeux dans les prescriptions émises par les ABF, notamment en ce qui concerne l’installation de panneaux solaires ou la rénovation thermique des bâtiments en zones protégées​.

Face à ce constat, la mission d’information préconise de renforcer le rôle des ABF en matière de transition énergétique. Cela inclut :

  • La formation continue des ABF pour les sensibiliser aux nouvelles techniques de rénovation énergétique respectueuses du patrimoine​.
  • La création d’un référent en transition écologique dans chaque Direction régionale des affaires culturelles (DRAC), chargé de concilier les exigences patrimoniales et écologiques​.

4. Recommandations pour une réforme en profondeur

Le rapport formule 24 recommandations visant à réinventer le rôle des ABF et à rétablir un dialogue constructif avec les élus et les porteurs de projets. Parmi les principales mesures proposées :

  • Clarification et simplification des procédures : Il s’agit de mieux définir le périmètre d’intervention des ABF, notamment en facilitant l’adoption des Périmètres délimités des abords (PDA), tout en allégeant les démarches administratives​.
  • Transparence et prévisibilité des décisions : Le rapport recommande la création d’un registre national des avis rendus par les ABF, accessible au public, afin de garantir une plus grande transparence dans l’instruction des dossiers​.
  • Renforcement des compétences et de l’attractivité du métier d’ABF : La mission souligne la nécessité de recruter davantage d’ABF et d’améliorer l’attractivité de ce corps de métier, notamment en augmentant les effectifs dans les départements ruraux et en renforçant les formations continues​.

Conclusion

Le rapport sénatorial de 2024 met en lumière les faiblesses d’un système sous tension, confronté à des défis croissants, tant sur le plan économique qu’écologique. La mission des ABF, essentielle à la préservation du patrimoine français, doit être repensée pour répondre aux enjeux contemporains. La transition écologique, en particulier, impose de nouvelles priorités que les ABF doivent intégrer dans leurs pratiques. Si les recommandations du rapport sont mises en œuvre, elles pourraient permettre aux ABF de renouer avec leur rôle d’accompagnateurs, tout en restant les garants de l’identité architecturale et paysagère des territoires français.

Pour consulter le rapport : Les architectes des bâtiments de France face aux contraintes économiques et aux défis de la transition énergétique et environnementale de notre patrimoine